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Deux générations, deux solitudes : quand les seniors se referment et que les jeunes swipent

🗓 28 mars 2025 • 🕒 22h48 • ✍️ Par Florence Duval

Deux âges, deux façons d’être seul, une même quête de lien.

La solitude n’épargne aucune tranche d’âge, mais elle ne se manifeste pas de la même manière. Tandis que les seniors s’isolent parfois malgré eux, les jeunes, hyperconnectés, semblent paradoxalement plus seuls que jamais. Deux générations, deux réalités, mais un même mal silencieux : la difficulté à créer du lien durable.

Les seniors : entre repli et invisibilité sociale

Pour beaucoup de personnes âgées, la solitude n’est pas un choix, mais une conséquence. Le temps passe, les amis et les proches disparaissent, les enfants s’éloignent, parfois géographiquement, parfois émotionnellement. Les journées deviennent plus longues, le silence plus pesant, et les occasions de voir du monde se font rares. À cela s’ajoute souvent une mobilité réduite : sortir devient plus compliqué, surtout quand on habite loin des centres-villes ou qu’on ne conduit plus.

Mais ce n’est pas seulement une question de distance physique. Le monde évolue à toute vitesse, et beaucoup de seniors ont le sentiment d’être laissés de côté. Les démarches se font en ligne, les conversations migrent sur les réseaux sociaux, et les codes changent. Cette fameuse « fracture numérique » n’est pas qu’une expression : elle crée un vrai fossé entre les générations, et renforce ce sentiment d’être en décalage, voire d’être oublié.

Pourtant, peu osent en parler. La solitude, chez les aînés, est souvent tue. Par pudeur, par fierté ou simplement parce qu’on ne veut pas déranger. Il est plus facile de dire « ça va » que d’avouer qu’on ne voit personne depuis des jours. Et puis, dans une société qui valorise la jeunesse, l’activité, la productivité… être vieux et seul semble presque honteux.

Mais tout le monde ne se résigne pas. Certains seniors cherchent encore à tisser du lien, à créer du contact. Ils s’inscrivent dans des clubs, participent à des ateliers, s’engagent dans des associations. D’autres osent même franchir le pas des sites de rencontre spécialement conçus pour les plus de 60 ans, avec l’envie de partager encore de bons moments, de rire, de discuter, parfois même de retomber amoureux.

La solitude des seniors n’est pas une fatalité. Mais pour en sortir, il faut du courage, des opportunités… et surtout, des regards bienveillants tournés vers eux.

Les jeunes : hyperconnexion, hyperdisponibilité… mais solitude réelle

Jamais une génération n’a été aussi connectée, aussi joignable, aussi « disponible » 24h/24. Les jeunes vivent avec leur téléphone greffé à la main, entre stories Instagram, messages instantanés et applis de rencontre. À première vue, ils semblent entourés, ultra-sociables, toujours en lien avec quelqu’un. Pourtant, beaucoup se sentent seuls. Vraiment seuls.

C’est que cette hyperconnexion est souvent trompeuse. On enchaîne les messages, les likes, les échanges rapides… mais combien sont profonds, sincères, durables ? Sur les applis de rencontre, on swipe, on zappe, on passe à la personne suivante en une fraction de seconde. Le contact est facile, mais l’attachement, lui, se fait rare. Il y a toujours cette impression qu’on pourrait trouver « mieux », ailleurs, plus tard.

Ce comportement traduit un malaise plus profond. Les jeunes cherchent du lien, du vrai, du réconfort, mais ont souvent peur de s’engager, de se montrer vulnérables, de ne pas être « à la hauteur ». Résultat : ils restent dans une sorte de zone floue, entre recherche de l’autre et auto-protection. On parle beaucoup, mais on se confie peu. On montre ce qu’on veut bien montrer, souvent un personnage un peu lisse, un peu retouché, jamais trop fragile.

Ajoutons à cela la pression de la « performance sociale » : il faut avoir l’air heureux, occupé, intéressant, populaire. Les réseaux sont devenus des vitrines où chacun expose sa vie idéale. Et ceux qui ne suivent pas le rythme finissent par se sentir à part, voire exclus. Difficile, dans ce contexte, d’être vraiment soi-même… et donc, de créer des relations authentiques.

En fin de compte, les jeunes sont rarement seuls physiquement, mais souvent seuls intérieurement. Entourés de notifications, mais en manque de connexions vraies. C’est une solitude plus discrète, moins visible que celle des aînés, mais tout aussi pesante.

Deux solitudes qui ne se croisent pas… ou si peu

D’un côté, des seniors qui s’isolent sans faire de bruit. De l’autre, des jeunes qui se noient dans le bruit sans vraiment se connecter. Deux solitudes, deux générations… et bien souvent, aucun pont entre elles.

Le dialogue intergénérationnel s’est effacé peu à peu. Chacun vit sa vie dans son coin, avec ses repères, ses habitudes, ses préoccupations. Les générations ne se parlent plus vraiment, si ce n’est parfois autour d’un repas de famille ou au détour d’une obligation. Et c’est dommage, car ce manque d’échange empêche la compréhension, l’entraide, l’enrichissement mutuel. Les jeunes oublient qu’ils ont tout à gagner à écouter ceux qui ont vécu avant eux. Et les aînés, parfois méfiants face au monde moderne, ne voient pas toujours le regard bienveillant que certains jeunes peuvent porter sur eux.

Mais tout n’est pas figé. Il existe des initiatives formidables, souvent locales, qui recréent du lien entre les générations. Comme ces colocations intergénérationnelles où un étudiant partage le logement d’un senior, en échange d’un loyer modéré et d’un peu de compagnie. Ou encore ces ateliers numériques où des jeunes bénévoles apprennent aux aînés à se servir d’un smartphone, d’un ordinateur, ou simplement à envoyer un message à leurs petits-enfants. Ces moments d’échange sont bien plus que pratiques : ils redonnent du sens, de la chaleur humaine, de la reconnaissance.

Car au fond, peu importe l’âge : tout le monde a besoin de se sentir vu, entendu, compris. Ce besoin de lien est universel. Il traverse les générations, les époques, les technologies. Créer du lien, c’est reconnaître l’autre dans sa différence, mais aussi dans ce qu’il a de profondément semblable à nous.

Alors peut-être qu’il est temps de faire tomber les murs. De tendre la main plutôt que de swiper. D’écouter plutôt que de scroller. Et de se rappeler qu’entre les générations, il y a bien plus à partager qu’on ne le croit.